Si la notion de propriété est facile à appréhender, il n’en est pas de même lorsque cette propriété se trouve être détenue par différentes parties. Et, au cours de votre vie, vous serez inévitablement confronté à de telles situations puisque suite au décès du conjoint, d’un parent voire d’une donation consentie au profit des enfants ou petits-enfants, la propriété risque fort de se trouver partagée. De ce fait, une bonne maîtrise des contours et des droits réels de la propriété s’avère être indispensable pour assurer une bonne gestion des biens tant sur le plan civil que fiscal.

En vertu de l’article 544 du code civil, la propriété est définie comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue». Cette définition distingue deux notions, à savoir le droit de jouissance et le droit de disposition. La personne qui bénéficie de la jouissance d’un bien peut profiter de son usage ou en percevoir les revenus. Le droit de disposer désigne quant à lui, la possibilité de céder le bien. Si ces droits sont détenus par une seule personne, on parle de pleine propriété. Dans le cas d’un bien immobilier, le droit d’usage confère au propriétaire la possibilité de mettre le bien à sa disposition ou à celui d’un tiers (le locataire) et d’encaisser les revenus générés par ladite location. Le droit de disposer offre la possibilité de céder le bien à tout moment en le vendant ou en effectuant une donation.

Lorsque le droit de jouissance et de disposition se trouvent partagés entre différentes personnes, il en découle une situation où la propriété est dite démembrée et met en relation un usufruitier et un nu-propriétaire.

La définition de l’usufruit est donnée par l’article 578 du Code civil qui stipule que « l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ». Par nature, l’usufruitier possède le droit de profiter de la chose démembrée (bien immobilier, portefeuille titres…) sans pouvoir en disposer. Il peut donc percevoir les loyers d’un immeuble, occuper le logement, encaisser les dividendes ou les coupons d’un portefeuille titres mais ne peut ni vendre la chose ni en modifier sa nature. Par exemple, l’usufruitier n’a pas la possibilité de transformer un bail à usage d’habitation en bail commercial sans obtenir l’accord du nu-propriétaire.

Cette notion de démembrement de propriété trouve généralement naissance au moment d’une succession. Pour comprendre son fondement, il convient de garder en mémoire que la loi prévoit une disposition spécifique permettant au conjoint survivant d’hériter d’une partie de la succession du défunt. Il est à noter que ce droit n’est pas ouvert aux partenaires de PACS pour lesquels le recours au testament est obligatoire en vue de conférer des droits au survivant. Si le défunt avait des enfants, le conjoint survivant a le choix entre opter pour l’usufruit sur la totalité du patrimoine du défunt ou sur le quart du patrimoine du défunt en pleine propriété. Si parmi les enfants, il en existe au moins un né d’une précédente union, le survivant n’a pas le choix et se voit attribuer le quart des avoirs du défunt en pleine propriété.

En présence d’une donation entre époux, le survivant dispose des trois options suivantes :

  • Un quart en pleine propriété + les trois quarts en usufruit
  • La totalité en usufruit
  • La quotité disponible en pleine propriété soit la moitié en présence d’un enfant, un tiers en présence de deux enfants et un quart en présence d’au moins trois enfants.

Il est à noter que le survivant hérite des biens du défunt sans qu’il ne soit fait de distinction de leur provenance (biens propres ou biens communs). Contrairement à une idée reçue, au décès, les biens propres du défunt ne sont donc pas attribués aux enfants. Autrement dit, les droits du survivant portent sur la moitié des biens communs (l’autre moitié demeurant sa propriété) et la totalité des biens propres du défunt. En clair, si le patrimoine de Monsieur et Madame X était composé de biens communs à hauteur de 1,2 M€ et de 0,5 M€ de biens propres au nom de Monsieur, l’actif successoral de Monsieur porterait sur 1,1 M€ (0,6 M€ au titre de 50 % des biens communs + 0,5 M€ au titre de 100 % des biens propres). Si Madame X décidait d’opter pour l’usufruit sur la totalité de la succession de son époux, son patrimoine serait donc le suivant : 0,6 M€ en pleine propriété + 1,1 M€ en usufruit. Dès lors que le conjoint survivant opte pour l’usufruit, les descendants de l’époux prédécédé reçoivent leur part en nue-propriété ce qui marque la genèse du démembrement de propriété.

Par nature, le démembrement de propriété est nécessairement temporaire. Il peut être envisagé de manière viagère ou limité dans le temps par convention entre les parties. Durant cette période, le nu-propriétaire s’engage à laisser à l’usufruitier l’usage exclusif du bien. Au terme du démembrement, c’est-à-dire au décès de l’usufruitier en cas d’usufruit viager, l’usufruit s’éteindra automatiquement et le nu-propriétaire récupérera, de facto, la pleine propriété du bien sans coût ni formalité particulière.

Dans le cas où le démembrement porte sur un bien dont l’usage n’entraine pas sa destruction, tel qu’un portefeuille titres ou un immeuble, la restitution du bien par l’usufruitier ne pose pas de difficultés majeures. Sauf cas exceptionnels, (incendie, catastrophe naturelle, effondrement…), l’usage qu’en fait l’usufruitier n’a pas vocation à entrainer la destruction dudit bien et, dans ce cas, le nu-propriétaire recouvrera la pleine propriété sans peine. En conséquence, l’un des prérequis en matière de démembrement de propriété consiste à évaluer la capacité de l’usufruitier à restituer la chose sans que celle-ci n’ait perdu de sa substance.

Lors du dénouement d’une succession, il est fréquent que le conjoint survivant dispose de l’usufruit sur des biens dits consomptibles tels qu’une somme d’argent. Par nature, un bien consomptible se caractérise par le fait que son utilisation entraine nécessairement sa destruction. Tel est notamment le cas, au jour du décès, de la moitié des liquidités figurant sur les comptes des couples mariés sous le régime de la communauté. Il en est de même pour les capitaux issus d’un contrat d’assurance vie dont l’époux prédécédé avait retenu une clause bénéficiaire démembrée désignant le conjoint survivant usufruitier et ses enfants nus-propriétaires. Au dénouement du contrat, l’assureur va verser les fonds entre les mains de l’usufruitier qui pourra librement en disposer. L’utilisation de cette somme d’argent, par des dépenses, va engendrer une diminution du capital initial pouvant aller jusqu’à son épuisement total.

En présence de liquidités, l’usufruitier se trouve dans une situation paradoxale puisqu’il détient un droit d’usage exclusif dont son utilisation conduira nécessairement à une destruction du bien démembré, ce qui rendra impossible la remise de la chose au nu-propriétaire. De son côté le nu-propriétaire se trouve dépourvu de son droit de disposer et ne pourra espérer recevoir la pleine propriété à l’issue du démembrement. Le code civil, en son article 587, est venu contrecarrer ce paradoxe en permettant, par exception, à l’usufruitier de « s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ». Cet usufruit spécifique prend le nom de quasi-usufruit. Ceci permet à l’usufruitier de devenir quasi-usufruitier et de disposer librement de la chose comme s’il en était le plein propriétaire. En contrepartie, l’usufruitier a une dette envers le nu-propriétaire dénommée créance de restitution. Sur le plan pratique, ce mécanisme permet au nu-propriétaire de récupérer sa créance avant l’ouverture de la succession.

Dans la plupart des successions, la gestion du démembrement portant sur les liquidités pose problème car, en l’absence de dispositions spécifiques, les liquidités resteront entre les mains du conjoint survivant qui en disposera comme il l’entend et les transmettra à ses héritiers à son décès. Dans ce cas, il existe un risque de double imposition aux droits de succession puisque les enfants auront acquitté des droits de succession sur la même somme à deux reprises ! Pour s’en prémunir, la solution consiste à remployer les liquidités dans un actif souscrit en démembrement ou à opérer une convention de quasi-usufruit permettant de constater l’existence d’une dette. Celle-ci peut être rédigée sous seing privé et enregistrée auprès de l’administration fiscale ou par acte authentique chez un notaire. Ladite convention a pour but de stipuler les droits et obligations de chacune des parties et permettre, au second décès, de porter à la connaissance de l’administration fiscale que les droits sur les liquidités ont déjà été acquittés. Concrètement, le montant de la dette viendra s’inscrire au passif successoral du conjoint survivant, réduisant ainsi la base taxable. Vous trouverez sur notre site, un modèle de convention de quasi-usufruit : https://www.magellanconseil.fr/infos-patrimoniales/clause-beneficiaire-et-convention

Dans le cas où le quasi-usufruitier n’aurait pas besoin de ces capitaux pour vivre, il semble légitime qu’il cherche à les placer. Parmi les solutions d’investissement envisageables, l’assurance vie tire une nouvelle fois son épingle du jeu en se distinguant par sa grande souplesse et son cadre fiscal avantageux.

Etant considéré comme plein propriétaire, le quasi-usufruitier aura toute liberté de souscrire un contrat d’assurance vie, dont il sera l’assuré, pour y placer son capital. Des rachats pourront être opérés en cas de besoin et la fiscalité qui en découlera sera très faible. Rappelons que le traitement fiscal des supports de capitalisation est extrêmement favorable puisque la fiscalité ne porte pas sur la somme récupérée mais uniquement sur la fraction des intérêts comprise dans le rachat. A titre d’exemple, un retrait de 10 000 € effectué sur un contrat d’une valeur de 110 000 € ouvert avec une prime de 100 000 € va générer une plus-value imposable de 909 €. Compte tenu d’une imposition au taux de 30% (IR de 12,80 % + PS de 17,20 %), l’impôt ressortira à seulement 273 €, soit 2,73% du montant racheté.

L’autre élément central du remploi en assurance vie est son cadre fiscal avantageux sur le plan de la transmission. Dans un souhait d’optimisation, il serait tentant de désigner le nu-propriétaire en tant que bénéficiaire du contrat afin qu’il puisse percevoir à titre gratuit les capitaux (dans la limite de l’abattement des 152 000 € ou 30 500 € en fonction de l’âge du souscripteur au moment du versement) et de matérialiser une créance de restitution au niveau de la masse successorale.

Pour autant, bien que ce mode opératoire demeure, à ce jour, non contesté par l’administration fiscale, il n’en reste pas moins vrai que la désignation du nu-propriétaire à titre gratuit parait pour le moins hasardeuse. En effet, la désignation à titre gratuit se caractérise par un acte dans lequel une des parties accorde à l’autre un avantage certain, sans en attendre de contrepartie. Cela génère donc un double gain : la transmission à titre gratuit par l’assurance vie et la déduction d’un passif successoral, qui engendre mécaniquement une baisse des droits. Dans ces conditions, le risque de requalification en abus de droit n’est pas à écarter. Afin d’éluder ce risque de requalification, une clause désignant le nu-propriétaire à titre onéreux est à privilégier. Cette dernière, contrairement à la désignation à titre gratuit, est conditionnée à l’acquittement d’une charge. Dans une clause bénéficiaire à titre onéreux, la charge est matérialisée par la dette du quasi-usufruitier envers le nu-propriétaire. Les sommes sont transmises par le quasi-usufruitier avec la condition de solder sa dette. Aucune fiscalité ne sera alors ponctionnée. Cette absence de fiscalité est justifiée par le fait que le nu-propriétaire ne bénéficie d’aucun enrichissement mais uniquement d’un remboursement de dette. De plus, ce mode opératoire présente une certaine sécurité pour le nu-propriétaire qui y trouvera un plus grand espoir de recouvrer la pleine propriété des capitaux à l’issue du démembrement.

Le sort des capitaux excédentaires générés par la performance du contrat durant la période de démembrement est à examiner. Il en découle que la clause bénéficiaire à titre onéreux du contrat nouvellement souscrit par le quasi-usufruitier doit stipuler une transmission à titre gratuit pour les capitaux excédant le montant de la créance de restitution. Pour illustrer cette stratégie, prenons l’exemple d’un conjoint survivant âgé de 68 ans qui dispose d’une somme de 300 000 € en quasi-usufruit. L’enfant unique du couple est, quant à lui, nu-propriétaire de cette somme. Le conjoint survivant place ces 300 000 € sur un contrat d’assurance, en désignant son enfant bénéficiaire à titre onéreux pour la somme de 300 000 € et, à titre gratuit, pour le surplus. Au jour du décès du conjoint survivant, le contrat valorisé 500 000 € va se dénouer de la manière suivante :

  • 300 000 € à titre onéreux en remboursement de la dette créée par le quasi-usufruit.
  • 200 000 € à titre gratuit dans la cadre fiscal de l’assurance vie.

Le versement ayant été opéré avant l’âge de 70 ans, les 200 000 € bénéficieront d’un abattement fiscal de 152 500 € et le surplus de 47 500 € sera taxé à hauteur de 20%, soit un coût fiscal de 9 500 €.

Pour les enfants, cette solution présente l’avantage de pouvoir récupérer les capitaux plus rapidement après le décès puisque les capitaux issus des contrats d’assurance vie échappent aux règles de la dévolution légale et sont donc transmis directement aux bénéficiaires sans attendre la liquidation successorale définitive. En clair, dans cet exemple, le nu-propriétaire va, d’une part, recouvrer la pleine propriété des 300 000 € et, d’autre part, bénéficier d’une fiscalité amoindrie sur les intérêts générés.

L’assurance vie étant une solution souple, le conjoint conserve toute latitude d’effectuer des retraits sur ce contrat. Dans l’hypothèse où la valorisation dudit contrat deviendrait inférieure au montant de la créance de restitution dû au nu-propriétaire, le solde serait porté au passif de la masse successorale. Si, dans l’exemple précédant, le contrat était valorisé 80 000 € au jour du décès, son dénouement s’opérerait alors de la manière suivante : 

  • 80 000 € à titre onéreux en remboursement de la dette créée par le quasi-usufruit.
  • 220 000 € déductibles de la masse successorale du conjoint survivant.

Dans le cadre d’une transmission, il est parfois périlleux de prévoir les besoins réels du conjoint survivant. Afin de se prémunir de cet écueil, la mise en place d’une clause dite « à options » reste la meilleure solution. En effet, ce type de clause offre au conjoint survivant la possibilité de retenir la proportion du capital de son choix en pleine propriété ou en usufruit ou en panachant les deux modes de détention. Cette clause a pour objectif de favoriser la protection du conjoint, sans pour autant léser les enfants en optimisant fiscalement la transmission de ses avoirs.

En conclusion, faute d’anticipation suffisante, le démembrement des droits de propriété peut avoir des conséquences civiles et fiscales non négligeables. En absence de dispositions particulières, le nu-propriétaire se retrouvera privé de son droit de disposition et le risque de double taxation fiscale est manifeste. Nous pouvons évidemment vous assister dans la mise en place de solutions permettant d’éluder toutes ces problématiques et d’aborder, tant la protection du conjoint que la transmission du patrimoine, en tout sérénité. 

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