Jamais, dans l’histoire, nous n’avions connu une crise d’une telle ampleur. Les autres crises référentes, à savoir celles de 1929, 2000 et 2008, étaient liées à des évènements endogènes faisant suite à l’éclatement de bulles spéculatives créées par la cupidité des acteurs économiques. La crise du coronavirus est radicalement différente car elle fait suite à un choc sanitaire exogène dont personne n’avait imaginé qu’elle imposerait la fermeture des économies dans quasiment tous les pays en même temps et confinerait plus de 4 milliards d’individus.

Le principe du confinement est de ralentir la propagation du virus en vue de préserver davantage de vies. En revanche, il a un effet délétère sur l’économie puisque l’arrêt brutal de l’activité se traduit inévitablement par un traumatisme tant au niveau de l’offre que de la demande. En effet, les entreprises à l’arrêt ne produisent plus et les consommateurs confinés ne peuvent plus consommer. N’oublions pas que la consommation des ménages représente une part prépondérante dans nos économies puisqu’elle correspond à 55 % du PIB pour la France et 75 % aux USA. Rappelons que le PIB, l’acronyme de Produit Intérieur Brut, est le flux qui mesure la création de richesses produites au cours de l’année dans un pays. Les quatre composantes du PIB sont la consommation des ménages, les dépenses publiques courantes, l’investissement et la balance commerciale.

Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’en France, l’activité ait chuté de près de 50 % avec plus de 10 millions de salariés en chômage partiel et plus de 1 million de personnes en arrêt de travail pour garder leurs enfants. Selon l’INSEE, la croissance trimestrielle du PIB enregistre un recul de 12 % par mois de confinement ! Afin d’éviter que les entreprises ne procèdent à des licenciements massifs, la France a développé le mécanisme du chômage partiel. Celui-ci permet aux salariés de préserver la majeure partie de leur rémunération et de reprendre le travail sans avoir à chercher un nouvel emploi. Aux Etats-Unis, la situation économique est également très prononcée puisque 17 millions de personnes, soit 10 % de la population active, ont perdu leur emploi en moins de 3 semaines. Un taux de chômage record de 32 % y est attendu dans les prochaines semaines, soit une destruction de 47 millions d’emplois ! A titre de comparaison, lors de la crise de 2008, les destructions d’emploi aux USA n’avaient touché que 8,7 millions avec un pic de chômage à 10 %.

S’il est encore trop tôt pour évaluer l’ampleur exacte de la crise sanitaire, il est certain que la récession sera très marquée. Le FMI table, pour sa part, sur un recul du PIB mondial de 3 % en 2020. Dans les faits, ce chiffre cache de grandes disparités : - 7,50 % en Europe, - 6 % aux USA et + 1 % pour la Chine.

En dépit de ce terrible constat, il est impossible de reprocher aux états et banques centrales une quelconque inactivité. Eviter que la crise sanitaire ne débouche sur une crise économique, sociale et financière sans précédent demeure la priorité absolue. Les leçons de la grande crise de 1929 ont incontestablement porté leurs fruits ! Les interventions ont donc été très rapides, massives et coordonnées. L’ampleur des montants déployés a de quoi donner le vertige : un plan de soutien de 350 milliards est instauré en France tandis qu’aux USA, il se monte à 2 000 milliards de dollars soit 3 fois supérieur à celui de 2008.

La Banque Centrale Américaine (FED) a mobilisé 2 300 milliards de dollars en vue d’accorder des prêts aux entreprises et collectivités locales. De son côté, la Banque Centrale Européenne (BCE) n’est pas restée passive. Elle a assoupli son mécanisme de prêts aux banques et a renforcé sa politique de quantitative easing consistant à racheter les dettes d’états et d’entreprises européennes à hauteur de 750 milliards d’euros. L’objectif est de permettre aux états et aux entreprises, contraints de s’endetter massivement pour faire face à la pandémie et à ses conséquences, de le faire sans réserve et à moindre coût via l’injection de liquidités dans le système bancaire. Le point faible de cette politique est la possibilité pour les banques de conserver ces liquidités pour elles-mêmes et/ou de les investir sur les marchés financiers pour leur compte propre. Afin d'éviter cet écueil, il est possible d’opter pour une solution offrant une diffusion plus directe, à savoir « l’helicopter money ». Cette méthode a le mérite d’être simple et directe puisqu’elle consiste à déposer de l’argent directement sur les comptes bancaires des ménages et des entreprises. Si la BCE n’a jamais eu recours à cette technique, elle est, en revanche, utilisée par les USA et le Japon. Ainsi, le pays du soleil levant a voté une distribution de 100 000 yens soit 850 € à l’ensemble de ses concitoyens dans l’objectif de les aider à surmonter la chute d’activité liée à l’épidémie du Covid-19. Le coût de cette mesure ressort à 102 milliards d’euros. Les USA avaient pris les devants en versant 1 200 dollars à chaque personne gagnant moins de 75 000 dollars par an et 500 dollars à chaque enfant.

A la lecture de ces lignes, il est légitime de s’interroger sur la provenance de ces milliards qui semblent soudainement tomber du ciel. La réponse est simple, ces milliards sont financés par emprunt. La France emprunte les capitaux nécessaires à ses besoins sur les marchés financiers auprès d’investisseurs via l’émission d’Obligations Assimilables du Trésor (OAT). 53 % de cette dette est détenue par des investisseurs étrangers (fonds de pensions, fonds d’investissement souverains, banques, compagnies d’assurance, fonds spéculatifs…). Les 47 % restants sont détenus à parts égales entre la Banque de France (en agissant pour le compte de la BCE) et les compagnies d’assurance, banques et fonds d’investissements. Au regard des mesures prises en vue de gérer la crise sanitaire, le poids de la Banque de France va continuer à augmenter. En clair, la France n’a pas de problème pour lever de la dette sur les marchés puisque celle-ci est indirectement financée par la BCE.

Au 1er janvier 2020, la dette publique de la France était fixée à 2 380 milliards, soit 98,35 % du PIB. Par définition, cette dette publique englobe l’ensemble des emprunts contractés par les administrations publiques, à savoir l’état, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. La dette de l’état représente, à elle seule, les ¾ de la dette publique. En raison de la baisse du PIB d’environ 8 % liée à la crise sanitaire, la dette publique devrait atteindre 2 560 milliards soit 115 % du PIB à la fin de l’année. A PIB constant, la hausse de la dette serait limitée à 106 %.

Dans la littérature économique, il est fait mention qu’à partir d’un certain seuil d’endettement public, tout supplément de dette publique a pour effet de peser sur la croissance. Ainsi, lorsque l’état s’endette, les acteurs économiques s’attendent à des hausses d’impôts à venir pour faire face au remboursement de la dette et, de ce fait, ils freinent volontairement leurs dépenses et augmentent leur épargne. Il est à souligner qu’il ne s’agit pas uniquement de la théorie puisque la collecte sur les livrets A et LDDS est passée de 1,5 milliard d’euros à 3,8 milliards sur le seul mois de mars 2020 ! L’autre effet négatif de la dette publique est qu’elle s’opère au détriment des dettes privées. En effet, l’état étant réputé ne pas pouvoir faire faillite, sa dette est jugée plus sûre que celles émises par les entreprises privées ce qui pousse les épargnants à favoriser l’achat des emprunts d’état. En conséquence, au plus l’état émet de la dette, au moins les entreprises privées réussissent à se financer dans de bonnes conditions. Pour réussir à lever de la dette, elles se voient dans l’obligation d’augmenter les taux servis ce qui renchérit d’autant le coût du financement et les contraint à réduire leurs investissements.

Comparer la dette au PIB n’est pas une mesure pertinente en soi car on mesure un stock (la dette) par rapport à un flux (le PIB). Il semblerait plus logique de comparer deux flux entre eux, à savoir le coût de la dette au PIB. Au 31 décembre 2019, le coût de la dette française était de 38,8 milliards d’euros soit 1,60 % du PIB ce qui demeure négligeable compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt. En raison des taux d’intérêts négatifs, l’émission de la nouvelle dette donne l’illusion de s’enrichir ce qui, bien évidemment, incite à emprunter davantage. Ainsi, sur le premier trimestre 2020, la France a émis 72,4 milliards d’euros de dette à moyen long terme au coût moyen de - 0,07 %. En revanche, le jour où les taux remonteront, la situation sera radicalement différente. A titre d’exemple, une hausse d’un point du niveau des taux d’intérêt entraînerait une augmentation du coût de la dette publique de 24 milliards d’euros, soit 1 % du PIB. Dans ce cas, le coût de la dette passerait à 2,5 % du PIB.   

Il est à souligner que l’endettement n’est pas systématiquement nocif puisque, par exemple, s’endetter pour financer des investissements n’est pas néfaste en soi. En revanche, s’endetter pour faire face aux frais de fonctionnement de l’état et au remboursement de la dette est nocif. Si l’on enlève les dépenses d’investissement, le budget de la France devient excédentaire de l’ordre de 15 à 20 milliards d’euros soit 0,50 % à 0,80 % du PIB. Il est évident qu’en 2020 la situation sera radicalement différente compte tenu des effets du covid-19. Sans faire partie des élèves vertueux, la France arrive donc à maitriser sa dette !

Si la situation de la France est jugée bonne en matière d’endettement, il est légitime de s’interroger sur ce qu’il en sera demain avec tous ces centaines de milliards empruntés ! Tant que la zone euro perdure, tous les états membres peuvent s‘endetter sans limite puisque la BCE se porte garante en dernier ressort ! Et la force de la BCE, en tant que banque centrale, est sa capacité à créer de la monnaie en faisant tourner la planche à billets … Et ceci de manière illimitée ! Les milliards d’euros ainsi créés servent à acheter la dette des états via la politique du quantitative easing. Par définition la BCE ne peut faire faillite car il lui suffit d’émettre de la monnaie pour faire face à ses engagements !

Une des faiblesses de la zone euro concerne sa structure même puisque, si la monnaie est commune entre les états membres, les dettes restent néanmoins propres à chaque état. C’est la raison pour laquelle les états membres n’empruntent pas aux mêmes conditions. Ainsi lorsque l’Allemagne émet de la dette à 10 ans au taux de - 0,54 %, celui-ci est fixé à 0,03 % pour la France, 0,84 % pour l’Espagne, 1,91 % pour l’Italie et 2,21 % pour la Grèce. Au regard de ces chiffres, la situation de la France est loin d’être critique puisque l’écart de taux avec l’Allemagne, pays réputé comme le plus fiable du monde, n’est que de 0,57 point.

Le talon d’Achille de la zone euro est l’absence de mutualisation des dettes publiques à l’échelle européenne. Vivement souhaitée par les pays du sud (Italie, Espagne et France), l’émission de « Coronabonds » a, pour l’heure, été rejetée par les pays du nord (Allemagne et Pays-Bas en tête). La raison est fort simple : les pays qui opèrent un strict contrôle de leurs dépenses ne veulent pas payer pour ceux qui dépensent sans compter ! Aux dires de l’Allemagne, le MES (mécanisme européen de stabilité) est amplement suffisant car conçu pour aider les pays en crise avec, en contrepartie, l’obligation de s’engager à mener de profondes réformes et une politique d’austérité. Considérée comme une perte de souveraineté, cette formule est rejetée par l’Italie… Il est fort probable que lors de la prochaine crise de défiance de la zone euro, le système évoluera vers une mutualisation des dettes publiques.     

Compte tenu des montants vertigineux engagés dans la lutte contre le coronavirus, les taux d’endettement public des pays de la zone euro vont devenir extrêmement élevés ce qui risque de menacer la croissance future. En effet, face à ce mur de la dette, une politique sévère d’austérité peut sembler inéluctable. Afin d’éviter d’avoir à prendre de telles mesures qui ne manqueraient pas de tuer dans l’œuf la reprise économique, certains économistes prônent l’annulation d’une partie des dettes publiques. Il ne faut pas oublier que la suppression d’une dette implique nécessairement la suppression de la créance attachée à la dette. L’annulation de la dette contractée auprès des acteurs privés et des épargnants condamnerait à la ruine de nombreuses entreprises et épargnants qui ne récupéreraient plus leur capital. Cela entrainerait un effondrement de la consommation et, par voie de conséquence, une contraction significative du PIB. Dans ces conditions, il est fort probable que les finances de l’état aient plus à y perdre qu’à y gagner d’autant qu’à partir du moment où l’emprunteur fait défaut, il se trouve dans l’incapacité de se financer faute de trouver de nouveaux créanciers.

Annuler la dette détenue par les investisseurs étrangers mettrait non seulement en péril l’équilibre de la zone euro mais aurait inévitablement pour conséquence une envolée des taux d’intérêts à long terme qui renchérirait d’autant le poids de la dette et mettrait en péril l’équilibre budgétaire. Comme évoqué précédemment, une hausse d’un point du niveau des taux d’intérêt est loin d’être neutre car elle coûte un point de PIB !

Il faut également garder en mémoire qu’annuler la dette publique détenue par la BCE n’a pas de sens puisque, par nature, elle se trouve annulée par construction tant que la BCE ne réduit pas la taille de son bilan, c’est-à-dire procède à son renouvellement lors de son échéance. D’autre part, cette dette se révèle être indolore. Afin de bien comprendre ces subtilités, il convient de préciser que, depuis la création de l’euro, les banques centrales nationales, telles que la Banque de France, ont perdu leurs prérogatives en matière de politique et création monétaire. Ce pouvoir est désormais entre les mains de la BCE, organe qui est détenu par les membres de l’union européennes avec l’Allemagne au rang de premier actionnaire avec 25,57 %, suivi par la France (20,16%), l’Italie (17,50 %) et l’Espagne (12,57 %). En mars 2015, face au risque de déflation menaçant l’Europe, la BCE a décidé d’emboiter le pas de ses homologues américains et japonais en mettant en œuvre le quantitative easing. Comme évoqué précédemment, cette politique consiste à racheter les emprunts d’état émis par les pays de la zone euro. La BCE n’acquiert et ne détient pas directement les OAT émises par l’état français puisque cette mission est déléguée à la Banque de France. C’est donc la Banque de France qui perçoit les intérêts versés par l’état français sur les OAT émises. Sachant que les bénéfices engendrés par la Banque de France sont reversés à l’état français, la dette, détenue par la Banque de France sous le couvert de la BCE, se trouve donc être gratuite. Si la dette détenue par la Banque de France est renouvelée lors de son échéance, il en découle que sa durée se trouve être rallongée de façon à devenir quasi perpétuelle. En clair, cette dette devient alors totalement indolore car non remboursable. Dans ces conditions, l’annuler explicitement ne sert donc à rien !

En clair, cela revient à considérer que les titres acquis par la Banque de France pour le compte de la BCE doivent être exclus de manière comptable du ratio de dette publique. Dans ce cas, la dette existe toujours mais ne pèse plus dans les indicateurs ! Ce tour de passe-passe peut vous sembler rocambolesque mais il est évident que la BCE ne réclamera jamais le remboursement des dettes. Cette pratique a pour dénomination « la monétisation des dettes ». C’est d’une extrême simplicité et d’une redoutable efficacité. En revanche, cela pourrait avoir pour conséquence un surplus de masse monétaire au sein de l’économie ce qui pourrait déboucher sur une poussée inflationniste qui induirait alors une baisse du pouvoir d’achat.

Les tensions inflationnistes sont toutefois à relativiser car la crise sanitaire induit plus de pressions déflationnistes qu’inflationnistes. La vive concurrence internationale est un véritable frein à d’importantes hausses de prix des biens et services. Dans un contexte de chômage élevé en raison de la récession actuelle, les poussées salariales ne pourront être que très modérées. Enfin, l’évolution à la baisse des prix du pétrole et des matières premières ne favorise pas le retour de l’inflation. Seule une reprise forte de l’activité économique pourrait générer des tensions inflationnistes. Or, ce n’est pas du tout le scénario central requis par les experts qui prône une reprise lente et graduelle de l’activité. Dans ces conditions, les taux d’intérêt et l’inflation devraient rester bas pour quelques années encore. Si d’aventure l’inflation devait repartir, alors le gouvernement serait contraint de financer la dette par des hausses d’impôts.

Nous devrions, en réalité, nous rapprocher de la situation japonaise c’est-à-dire devenir fortement endettés (le taux d’endettement du Japon est de 250 %) sans impact direct sur notre solvabilité compte tenu de la monétisation de la dette. Le Japon connaît depuis 20 ans une croissance faible, des taux d’intérêts proches de 0 % et une absence d’inflation...

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