Au secours l’inflation est de retour ! Cette entrée en matière pour le moins provocatrice et alarmiste ne signifie pas que l’inflation telle que nous l’entendons communément, c’est-à-dire celle basée sur l’évolution des prix à la consommation mesurée par l’INSEE, va augmenter dans les prochains mois. Rassurez-vous, vous n’allez pas payer votre baguette plus chère car, au regard de l’indice des prix qui affiche une progression de 0,20 % sur un an, nous restons dans un monde non inflationniste.
Il s’agit de l’inflation monétaire qui est la conséquence directe des injections massives des liquidités opérées par les banques centrales depuis plusieurs années et dont le mouvement s’est amplifié depuis la crise sanitaire.
Rappelons que, suite à la faillite de Lehman Brothers, afin d’éviter que l’économie mondiale ne sombre dans le chaos, les banques centrales ont, dès 2008, adopté des politiques monétaires non conventionnelles dénommées « quantitative easing ». Par ce biais, les banques centrales ont procédé à des achats massifs d’actifs financiers tels que des bons du trésor, des obligations d’entreprises et des titres hypothécaires dans le but d’accroitre la quantité de monnaie en circulation et tenter de relancer l’économie. Ces actions ont eu pour effet de modifier radicalement l’équilibre de marché puisque la régulation classique basée sur la loi de l’offre et de la demande ne pouvait plus fonctionner face à un courant acheteur aussi puissant et illimité. Autrement dit, les prix des actifs financiers n’ont fait que monter sous l’emprise d’un marché devenu entièrement administré par les banques centrales. Ces politiques monétaires très accommodantes ont provoqué une déconnection totale entre les valeurs monétaires et intrinsèques des actifs d’où la formation de bulles. Celles-ci ne se limitent pas qu’aux marchés obligataires car, par effet de ruissellement, elles se sont répandues à l’ensemble des classes d’actifs y compris les marchés boursiers et immobiliers.
Autant l’inflation des biens et services, qui conduit à la hausse des prix à la consommation, est néfaste pour le consommateur car elle ampute son pouvoir d’achat, autant l’inflation monétaire semble, de prime abord, bénéfique car elle permet aux détenteurs d’actifs de s’enrichir à la condition de savoir en tirer profit.
Afin d’appréhender ce phénomène d’inflation monétaire, prenons l’exemple du prix des appartements parisiens. Aujourd’hui avec 500 000 €, vous pouvez acheter un appartement de 44 M². Il y a cinq ans, avec cette même somme, vous pouviez acquérir un appartement de 63 M². Autrement dit, vos 500 000 € se sont dépréciés de 30 % sur 5 ans. Si la progression des prix de l’immobilier parisien devait demeurer identique sur les 5 prochaines années, vous pourriez alors viser un appartement de seulement 31 M² en 2025 ! Si vous êtes un individu rationnel, vous allez donc troquer sans délai vos 500 000 € pour un appartement afin de protéger vos avoirs et éviter de subir une dévalorisation de vos liquidités. Ce faisant, vous allez inévitablement participer à la hausse des prix de l’immobilier parisien et, par la même occasion, auto-alimenter la bulle spéculative.
Les exemples les plus criants d’exubérance en termes de valorisation se retrouvent dans le cours de certaines actions américaines liées aux secteurs technologiques. Ainsi, au cours des 12 derniers mois, le cours de l’action du fabricant de véhicules électriques Tesla a été multiplié par 10, soit une progression de 900 % ! La capitalisation boursière de Tesla a atteint 400 milliards de dollars soit autant que celle de Toyota, Volkswagen, Honda, Ferrari, Daimler, BMW et General Motors réunis ! N’oublions pas que Tesla ne produit que 500 000 voitures par an contre 40 millions au global pour ces 7 constructeurs. Le chiffre d’affaires de Tesla est 60 fois inférieur à celui des 7 constructeurs et ses bénéfices 3 200 fois inférieurs ! Dans ces conditions, la valorisation boursière de Tesla n’est pas tenable, elle est totalement irrationnelle. Il est malheureusement assez fréquent que de telles aberrations se produisent en bourse mais n’oubliez jamais que la réalité reprend toujours le dessus car comme l’énonce l’adage : « les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel » !
Hormis de telles situations ubuesques pour lesquelles la correction peut intervenir à tout moment, les bulles éclateront lorsqu’elles ne seront plus auto-entretenues c’est-à-dire lorsque les marchés financiers arrêteront d’être inondés de liquidités. N’oublions pas que, depuis le 15 août 1971, date à laquelle le président Nixon a mis fin à la conversion du dollar en or, la création monétaire est, de fait, devenue illimitée ! Pour information, la banque centrale américaine achète chaque mois 120 milliards de dollars d’obligations, 80 milliards de bons du Trésor et 40 milliards d’actifs hypothécaires. Dans ce contexte, il y a fort à parier qu’à la moindre correction des marchés, les investisseurs en profiteront pour renforcer leurs positions en se débarrassant de leurs liquidités ce qui soutiendra inévitablement les cours et fera repartir les marchés à la hausse. En revanche, lorsque cette abondance de liquidités diminuera, les taux d’intérêt remonteront mécaniquement et la valeur intrinsèque des actifs primera de nouveau. Ce sera la fin du marché administré par les banques centrales, la loi de l’offre et de la demande reprendra ses droits ce qui engendrera un dégonflement du prix des actifs plus ou moins violent selon les secteurs.
Dans ces conditions, quelle position devez-vous adopter ? Est-il préférable d’attendre le dégonflement des bulles avant d’investir ou investir immédiatement afin de tirer profit de l’inflation monétaire ? La réponse est délicate car, dans les deux scénarios, il est possible de se retrouver perdant ! En effet, si vous conservez vos liquidités en l’état, vous allez inévitablement vous appauvrir un peu plus chaque jour et, si vous les investissez, vous êtes à la merci d’une correction brutale des prix des actifs en cas d’éclatement des bulles ! Rester à l’écart de largesses offertes par les banques centrales n’a de sens que si les injections de liquidités sont sur le point de se tarir. La problématique consiste donc à essayer de dater la fin des injections de liquidités dans le système financier.
Tout repose sur les actions des banques centrales et plus particulièrement de la plus influente au monde, à savoir la banque centrale américaine (Fed). Par essence, le mandat de la Fed est dual car il vise à obtenir, à la fois, stabilité des prix et plein emploi. Dans les faits, les agissements de la Fed se révèlent plus guidés par la peur de l'inflation que de la recherche du plein emploi. Sur le plan de l’inflation, la Fed exerce une stratégie de ciblage dénommée « inflation Targeting » sur un niveau de 2 %. Or, au regard des actes menés par la Fed au cours de la dernière décennie, ce chiffre de 2 % est apparu comme un plafond de verre et non comme un objectif moyen.
A priori, la réponse à la question posée pourrait se résumer comme suit : dès que l’inflation aux USA se rapprochera de 2 %, les injections de liquidités se tariront et les taux d’intérêts remonteront d’où une chute des marchés boursiers. C’est exactement ce qui s’est passé en 2018 lorsque la hausse des taux a causé un recul brutal des marchés au cours du second semestre. Dans ces conditions, la date du retournement pourrait intervenir dès 2021 puisque l’inflation sous-jacente aux Etats-Unis est proche de 1,50 % l’an.
Toutefois, depuis le 27 août 2020, la donne a radicalement changé puisque, dans le cadre du Symposium de Jackson Hole, le président de la Fed a annoncé une modification structurelle de la politique monétaire américaine. Si cette décision est en partie liée à la crise sanitaire, elle correspond à un mouvement plus profond émanant d’erreurs de timing qui ont été commises par la banque centrale américaine au cours des 10 dernières années en ayant relevé, à plusieurs reprises, les taux d’intérêt trop rapidement. Selon la Fed, cela serait l’une des principales raisons de la faiblesse de la reprise économique après la crise de 2008. Le constat de la Fed est le suivant : si les taux d’intérêt avaient été augmentés moins vite, le niveau d'activité aurait été davantage soutenu et le taux de chômage aurait atteint un niveau encore plus bas. En clair, la croissance américaine aurait pu être plus vigoureuse sans prise de risques du côté de l'inflation. De plus, ce comportement a également pesé sur les marchés financiers car les hausses de taux ont eu pour effet de faire chuter les cours des actions. Cet aspect est loin d’être anodin car la consommation qui représente 70 % du PIB américain est auto-alimentée par les gains boursiers. L’effet richesse, qui consiste à dépenser davantage lorsque la valeur du patrimoine s’accroît, joue à plein dans un tel scénario. Il est donc de l’intérêt de tous que les marchés boursiers et immobiliers se comportent bien.
Dans les faits, ce changement de stratégie de la Fed permet d'envisager une reprise post-Covid nettement plus vigoureuse que celle observée au cours de la dernière décennie. Pour les acteurs économiques, ce message envoyé par la Fed s’avère être une excellente nouvelle puisque l’action de la Fed n’aura plus tendance à freiner le niveau d'activité économique avant de voir une sortie de crise robuste et une accélération des prix bien au-delà des 2%. Le seuil d'intervention de la Fed est, par conséquent, nettement décalé dans le temps ce qui laisse augurer de beaux jours boursiers durant une période d’au moins 3 ans ! Bien évidemment cela ne signifie pas que les marchés boursiers ne vont faire que monter durant ce laps de temps mais que le risque de baisse durable des actions est faible. En clair, la volatilité demeurera toujours présente mais le marché devrait rester fondamentalement haussier pendant encore quelques années.
La flexibilité que se donne la Fed est un indéniable atout car cela permet d’ajuster les positions en fonction des événements et d'éviter ainsi d’avoir les mains liées sur une cible absolue. L'absence de données chiffrées sur ces questions redonne une latitude importante à la Fed qui pourra alors décider de l'ampleur de l’action à mener selon son propre calendrier.
Concernant la question de l'emploi, la Fed exprime de façon explicite qu'un niveau de chômage proche de l'estimation du niveau de chômage structurel ne sera plus une cause d'enclenchement d'un cycle de resserrement monétaire. Désormais, l'évaluation du niveau de chômage se fera sur une base élargie d'indicateurs visant à évaluer plus justement les dynamiques de l'emploi aux Etats-Unis. A ce titre, et au regard des discours prononcés, la Fed expose l'incapacité actuelle d'établir le niveau de plein emploi réel. En clair, à l'inverse de la reprise post 2008, la reprise post-covid ne sera vraisemblablement pas interrompue prématurément par une action de la Fed.
En outre, la Fed prône un processus de révision de la méthode tous les 5 ans. Et celui qui sait lire entre les lignes les volontés de la Fed comprendra qu’elle ouvre explicitement la porte à une révision encore plus importante de la politique monétaire américaine dans les prochaines années. Peut-être qu’au lieu d’acheter des obligations, la Fed se mettra à acheter des actions. Elle favorisera ainsi la hausse des cours de bourse, comme d’ailleurs, depuis 2010, la Banque du Japon qui est devenue aujourd’hui l’actionnaire principal de 55 entreprises sur les 225 qui composent l’indice Nikkei.
Compte tenu des signaux envoyés par la Fed, il est évident que l’inflation monétaire va perdurer encore quelques années. Que faut-il faire pour essayer de tirer profit de ce mouvement inexorable ?
La solution consiste à convertir ses liquidités en actifs. Encore faut-il opter pour des actifs qui ont le plus de chance de se revaloriser. En effet, ce n’est pas parce que les liquidités vont demeurer abondantes que tous les actifs vont voir leur valeur progresser sans discernement. Il est donc impératif d’être très sélectif.
Placer ses liquidités sur un livret A ou le fonds en euros de son assurance vie n’offre aucune protection puisque le rendement de 0,50 % (livret A) ou de 1,30 % (fonds en euros) est inférieur à l’inflation monétaire d’où un inévitable appauvrissement au fil des ans. Un des enseignements majeurs est que, dans ce monde inflationniste, il est devenu impossible de s’enrichir en se cantonnant aux placements liquides et exempts de risques. Autrement dit, celui qui ne jure que par l’absence de risques ou par une forte liquidité est donc voué à s’appauvrir !
Acquérir des biens immobiliers ou des actions semble être la bonne décision. Toutefois, il faut garder à l’esprit que la crise sanitaire risque de modifier nos habitudes. Même si, pour l’instant, elle s’est plutôt révélée être un accélérateur de tendance qu’une révolution, il n’en demeure pas moins vrai que certains actifs pourraient, à plus ou moins brève échéance, connaître des ajustements plus ou moins brutaux. Si la logistique, en lien avec le boom du e-commerce, ainsi que la thématique santé ont encore de beaux jours devant eux, les complexes de bureaux où l’open-space est devenu roi ainsi que les gros centres commerciaux situés en périphérie risquent d’être dévalorisés. Par exemple, en raison de la montée en puissance du télétravail, les immeubles de bureaux situés à la Défense risquent de connaître une vacance locative plus soutenue ce qui pourrait déboucher sur une dépréciation du prix de ces actifs. A l’inverse, les bureaux situés sur Paris Intra-muros devraient beaucoup mieux résister. En dépit de la prise en compte de ces grandes tendances, il est impératif de rappeler qu’en matière d’immobilier, l’emplacement est le critère à privilégier. Autrement dit, en temps de crise, les actifs dits « prime », c’est-à-dire très bien situés, resteront toujours prisés par les investisseurs tandis que les emplacements de seconde zone seront de plus en plus délaissés. Il ne sert donc à rien de rejeter en bloc tous les investissements immobiliers professionnels en arguant que la fin du système est pour demain, il faut avant tout faire preuve de sagacité.
Pour tirer son épingle du jeu, il faut impérativement être sélectif et favoriser les actifs dont la valeur est en phase avec la réalité du marché. Acheter des actions, comme Tesla, dont le cours est délirant, n’est bien évidemment pas judicieux car le risque d’une correction violente semble inévitable. En revanche, acquérir des actions qui ont déjà subi un ajustement de leur prix peut sembler pertinent. A cet égard, des sociétés telles que Klepierre ou Unibail, poids lourds des investissements dans les centres commerciaux, qui ont pour point commun d’afficher des cours en repli de plus de 70 % depuis le début de l’année, sont un parfait exemple. En effet, l’ajustement brutal est déjà intervenu et, comme bien souvent en bourse, il s’avère trop marqué. Il faut donc s’attendre à un effet de rattrapage dans les prochains mois car les centres commerciaux ne sont pas voués à disparaître mais à s’adapter aux nouvelles habitudes et souhaits des consommateurs. Dans ces conditions, se porter acquéreur d’une sicav immobilière semble donc un moyen efficace de s’affranchir des effets de l’inflation monétaire sans avoir à craindre un ajustement des valorisations puisque le prix des sociétés immobilières cotées a déjà fait l’objet d’un ajustement. Il existe bien d’autres solutions que nous ne manquerons pas de développer dans notre prochaine lettre.
En résumé, la modification de la stratégie de politique monétaire américaine, d’apparence cosmétique, marque en réalité un changement fondamental pour les politiques économiques occidentales. Après une période désinflationniste initiée en 1979, la Fed modifie son approche en privilégiant le soutien maximal à l'emploi et à la croissance. Les politiques monétaires vont donc demeurer très accommodantes pendant au moins 3 ans ce qui va favoriser l’inflation monétaire. Si vous souhaitez protéger votre patrimoine, vous devez obligatoirement vous débarrasser de vos liquidités et acquérir des actifs immobiliers ou boursiers. Mais avant de passer à l’acte, assurez-vous que le prix soit cohérent avec la situation actuelle. Si vous estimez qu’il y a des chances que sa valeur baisse dans les prochains mois, attendez que la correction se soit produite avant de l’acquérir mais, à trop attendre des baisses qui ne viendront peut-être pas, vous risquez de sombrer dans l’immobilisme et de vous appauvrir. Gérer son patrimoine n’est pas un exercice de tout repos et requiert une bonne dose de vigilance et de bon sens !