L’année boursière 2021 est indéniablement à classer parmi les grands millésimes. Pour preuve, l’indice mondial calculé en euros affiche une progression supérieure à 25 %, soit sa troisième meilleure performance du 21ème siècle. Le choc provoqué en 2020 suite à l’épidémie de la Covid-19 n’aura donc pas eu d’impact sur les bourses mondiales qui, dans leur ensemble, ont dépassé leur plus haut historique à l’instar du CAC 40. L’indice parisien a, en effet, franchi la barre symbolique des 7 000 points et enfoncé un record vieux de 21 ans. Le nouveau sommet est désormais fixé à 7 181,11 points atteint à la clôture du 28 décembre 2021 contre 6 944,77 points en date du 4 septembre 2000.
Cette euphorie boursière a été alimentée par des politiques budgétaires et monétaires très agressives qui ont généré une croissance du PIB mondial très soutenue (de l’ordre de 6 % après un recul de 3,10 % en 2020) et des bénéfices des entreprises records (+ 45 % aux USA et + 65 % en Europe).
Afin de mesurer l’ampleur de ces mesures exceptionnelles, il convient de garder en mémoire que la part des dettes des Etats a augmenté de 20 points de PIB en un an et que le bilan des banques centrales a cru de 60 %. En règle générale, le moteur réel (relance budgétaire et bénéfice des entreprises) et le moteur financier (injections monétaires) fonctionnent alternativement. Or, en 2021, ces deux moteurs ont simultanément tourné à plein régime. Face à un tel cocktail détonnant, les marchés ne pouvaient que progresser permettant à de nombreuses places boursières d’enregistrer des performances supérieures à 30 %.
Le trio de tête de l’année 2021 est composé du Zimbabwe avec une progression de 416 %, du Kazakhstan (+ 94 %) et du Botswana (+ 92 %) suivi par le Liban (+ 91 %), la République Tchèque (+ 61 %), les Emirats Arabes Unis (+ 55 %), l’Autriche (+ 48 %), l’Arabie Saoudite (+ 45 %), la Bosnie Herzégovine (+ 41 %), la Slovénie, l’Estonie, le Koweït (+38 %), les Pays-Bas, Bahreïn, Oman et l’Inde (+ 35 %). Parmi les grands pays, le CAC 40 a raflé la mise avec une progression de 29 %, le S&P 500, l’indice vedette des 500 plus grosses entreprises américaines, a performé de 27 % en dollars (soit 35 % compte tenu de la hausse du dollar vis-à-vis de l’euro). L’Euro Stoxx 50 a enregistré une hausse de 21 %. Le Nikkei 225, l’indice phare de la bourse japonaise, a gagné 5 % en yens (soit 2 % en euros) et la Chine a connu une baisse de 17 % en euros. Parmi les places boursières qui ont délivré une performance négative en euros, outre la Chine, figurent la Turquie (- 26 %), le Pakistan (- 25 %), le Brésil (- 18 %), le Pérou (- 16 %), le Chili , la Nouvelle Zélande (- 13 %), la Jamaïque (- 10 %), la Colombie, la Tunisie (- 9 %), la Malaisie (- 4 %) et la Corée (- 3%).
En dépit de performances exceptionnelles, l’année 2021 n’a pas rencontré de pic de volatilité ce qui est plutôt rare pour les marchés boursiers. Après avoir enregistré une progression linéaire sur les huit premiers mois de l’année, le marché est alors entré dans une phase plus indécise en raison des tensions inflationnistes, des turbulences sur le marché immobilier chinois couplées à des mesures visant à réguler l’économie et de l’apparition de nouveaux variants. Ces rares phases de repli n’ont toutefois guère dépassé les 5 % car les investisseurs les ont mises à profit pour renforcer leurs positions en actions persuadés que les banques centrales maintiendraient des politiques très expansionnistes. Il faut garder en mémoire que les banques centrales ont pour habitude d’annoncer les changements de politiques de nombreux mois à l’avance afin d’éviter de prendre par surprise le marché et créer une panique boursière.
En 2022, il est impensable de réitérer des performances semblables puisque les deux moteurs (réel et financier) vont se dégrader. La conjoncture économique ne permettra plus aux entreprises d’augmenter leurs marges de façon significative. La hausse des coûts des matières premières, des salaires due à la raréfaction de la main d’œuvre, des goulets d’étranglement en raison des difficultés d’approvisionnement ainsi que les contraintes liées à la transition environnementale sont autant de facteurs négatifs pour les entreprises sauf pour celles qui auront la capacité à augmenter leurs prix. Dans ce contexte, le consensus des analystes table sur une hausse moyenne des bénéfices des entreprises de l’ordre de 6 % sur 2022.
A contrario, le très haut niveau d’épargne engrangé par les ménages durant la pandémie devrait permettre de stimuler la demande et, par conséquent, la croissance. Ces niveaux très élevés sont équivalents à 11 % du PIB pour les Américains et 7 % pour les Européens. Ce potentiel de consommation couplé à la prise de conscience qu’il est urgent d’investir dans la santé, l’éducation et la transition écologique devrait engendrer une impulsion publique bénéfique pour la croissance. Les instituts économiques anticipent une croissance mondiale de l’ordre de 4,50 % avec 5 % pour la Chine, 4,30 % en Europe, 4 % aux USA et 2,60 % au Japon.
Si, sur le plan de la croissance, le potentiel est encore présent, il n’en est pas de même sur le plan financier. En effet, la situation va radicalement changer puisque l’inflation contraint les banques centrales à réduire les injections de liquidités d’où des hausses de taux à venir dans les prochains mois. Jerome Powell, le président de la FED, a donné le ton en annonçant trois hausses de taux d’un quart de point en 2022, trois hausses en 2023 et deux autres en 2024. Ce faisant les taux directeurs, maintenus inchangés à 0,25 % depuis mars 2020, devraient être portés à 2,25 % en 2024. L’exercice de la FED est périlleux puisque si les hausses des taux s’avèrent être trop faibles, l’inflation ne sera pas freinée et si elles se révélaient trop soutenues cela entrainerait un ralentissement marqué de l’économie mondiale notamment en raison du niveau élevé de l’endettement.
En Europe, la situation est moins complexe dans la mesure où les tensions inflationnistes sont encore modérées. C’est la raison pour laquelle la BCE s’est juste contentée de mettre fin à sa politique spécifique d’achat d’actifs instaurée en mars 2020 dans le but de contrecarrer les effets de la crise sanitaire et n’envisage pas d’augmentation de taux avant 2023.
En résumé, aux dires des experts, sur le plan microéconomique, les signaux demeurent positifs avec des profits qui devraient rester dynamiques ce qui devrait favoriser un climat boursier favorable. Toutefois, les craintes macroéconomiques liées à la résurgence de l’inflation et aux hausses des taux risquent de mettre à mal les profits des entreprises. De sorte que l’élément prédominant demeurera l’évolution de l’inflation et des taux.
Dans leur majorité, les gérants recommandent de se positionner sur les actions européennes car la politique monétaire devrait rester relativement accommodante. Toutefois, afin d’éviter une trop forte dépréciation de l’euro face au dollar, la BCE pourrait être contrainte de remonter ses taux sur 2022. En effet, la hausse des taux aux USA aura pour conséquence d’attirer les capitaux européens et ainsi favoriser la hausse du dollar. Si celle-ci s’avère favorable pour les entreprises exportatrices, cela aura pour conséquence un renchérissement du coût des exportations ce qui serait malvenu dans ce contexte inflationniste. Pour les gérants, il faut se méfier des analyses globales du marché car celui-ci se trouve dans une configuration atypique. Une partie du marché se traite sur des niveaux de valorisation extrêmement élevés et une autre sur des niveaux très attractifs. Les taux d’intérêt négatifs ont contribué à cette dichotomie. Mais ce phénomène touche à sa fin car les taux vont entamer leur phase de hausse ce qui fera mécaniquement baisser les valorisations des actions de croissance. De ce fait, l’écart de performances entre la gestion « growth » et « value » est voué à s’amenuiser.
Selon les prévisionnistes, la situation aux USA est pour le moins incertaine et cette zone ne doit pas être surpondérée. En effet, l’inflation est à son niveau le plus haut depuis 40 ans, le plan de relance de 2,2 milliards de dollars destiné aux dépenses sociales et au climat ne devrait pas être ratifié et les tensions sur le marché du travail sont élevées. Ces éléments, couplés à un niveau de valorisation des actions jugé excessif dans un contexte de hausse de taux, laissent augurer des jours difficiles. Rappelons qu’historiquement, les phases de transition de cycle de hausses des taux de la Fed ont toujours été des périodes très délicates pour les marchés boursiers. Le seul point positif repose sur l’extrême habileté de la FED dont la modestie des hausses annoncées sur les 3 prochaines années ne devrait pas trop impacter l’économie américaine.
Au regard de sa timide progression boursière sur 2021, le Japon peut sembler peu enthousiasmant. Sa faible croissance économique attendue sur 2022 (2,60 %) en est une parfaite illustration. Pourtant d’un point de vue fondamental, les actions japonaises semblent attrayantes. Elles sont faiblement valorisées et devraient être stimulées par la politique monétaire expansionniste visant à maintenir les taux négatifs et à l’important bas de laine des ménages accumulé durant la crise sanitaire. Si une petite partie de ces 2 000 milliards de Yens se déversait sur le Nikkei, il s’en suivrait inévitablement une hausse des cours stimulée par une croissance des profits des entreprises attendue à 14 %, soit le double du reste du monde. Une des principales caractéristiques du Japon est sa décorrélation vis-à-vis des autres places boursières et notamment américaine. Dans le contexte actuel, le Japon pourrait se révéler une excellente surprise.
En Chine, la dynamique de croissance s’est affaiblie en raison de la stratégie du zéro-covid, du refroidissement délibéré du marché immobilier et des mesures visant à réduire les émissions de carbone qui aboutissent à un rationnement de l’électricité provoquant des fermetures d’usines. Une baisse de la croissance chinoise se révèle être un mauvais signe pour la croissance mondiale dans la mesure où la Chine est devenue le centre névralgique de la mondialisation. Sur le plan monétaire, la situation est radicalement différente des autres pays puisque la banque centrale chinoise a baissé ses taux. A priori, cette politique monétaire devrait perdurer et être accompagnée par une politique de relance budgétaire permettant ainsi de stimuler la croissance. Pour les analystes, les mauvaises nouvelles sont intégrées par le marché ce qui laisse présager d’un probable rebond des actions chinoises sur 2022.
Etant plus impactés par la crise sanitaire, les pays émergents n’ont pas profité de l’embellie de 2021 et les gérants semblent peu enclin à recommander cette zone. Toutefois, la croissance de cette zone est attendue à plus de 5 %, taux supérieur à celle des pays développés. De plus, les banques centrales des pays émergents ont déjà relevé leur taux et sont donc moins dépendants des hausses des taux à venir aux USA. L’atout des pays émergents concerne l’exploitation des matières premières qui ont vu leurs prix flamber ce qui génère des recettes substantielles. Investir dans les pays exportateurs de matières premières aux bilans sains peut donc sembler être pertinent.
Sur le plan obligataire, en raison de la remontée des taux d’intérêt qui se dessine, les obligations à taux fixe ne sont pas recommandées car leurs cours vont refluer. En revanche, les obligations à taux variables sont un bon véhicule à détenir en portefeuille en phase de hausse des taux. Il en est de même pour les obligations indexées sur l’inflation.
En conclusion, 2022 s’annonce comme une année placée sous le signe du changement puisque l’inflation et les montagnes de dettes devront être jugulées. Par conséquent, le carburant des marchés composé du couplage relance budgétaire et monétaire va toucher à sa fin. Les pressions inflationnistes, le ralentissement des taux de croissance et le resserrement des politiques monétaires laissent à penser que les actions pourraient être confrontées à une épreuve de force surtout si la situation sanitaire devait se mêler à la partie avec l’arrivée de nouveaux variants. En fonction de l’évolution de ces différents paramètres, des soubresauts devraient inévitablement se produire sur les marchés offrant des points d’entrée sur des niveaux plus attrayants. Dans ce contexte, 2022 est annoncée comme l’année de la gestion active et non passive. En effet la gestion indicielle devrait délivrer une performance moindre que les gérants actifs capables de sélectionner les entreprises dont les modèles économiques contribuent de manière positive au monde de demain. Si les actions européennes recueillent les suffrages, les plus audacieux pourront se positionner sur la Chine et le Japon, pays qui pourraient offrir des perspectives de rebond significatif.